Les Peintres ambulants Russes : 1857-1900

Durant la deuxième moitié du XIXième siècle, il y eut un véritable engouement des jeunes peintres réalistes russes pour les «études en plein air» en Normandie et en particulier à Veules…

Indépendants, pas refusés

En 1864, le peintre Nicolaï Lanskoï et treize de ses camarades de l’académie avaient refusé de traiter le sujet du concours final, qu’ils jugeaient trop académique. Ils renonçaient par la même à la possibilité du prix et de commandes officielles. Pour assurer leur indépendance économique et leur promotion, ces peintres fondent l’Artel, société coopérative des peintres Indépendants, qui donne son nom au mouvement correspondant. Leurs œuvres seront bien accueillies par la société russe, notamment par le riche marchand collectionneur Trétiakov, et la plupart connaîtront la réussite économique et sociale. La même année s’organise, en marge du salon officiel à Paris, le « Salon des Refusés » annonciateur, en France, de l’Impressionnisme.

Réalistes plus qu’impressionnistes

Les indépendants russes partagent avec leurs camarades français le désir de faire sortir la peinture de l’académisme et de l’atelier pour cueillir en plein air, sur de petits formats, le motif vrai, vivant et naturel ; ce que permettent les nouvelles peintures à l’huile, ainsi que le développement des chemins de fer. Tandis que l’école française s’attache volontiers à fixer l’impression immédiate et à saisir le caractère fugitif de la lumière, avec l’Impressionnisme, leurs collègues russes s’intéressent plus tôt au caractère pérenne d’un paysage ainsi qu’à la réalité sociale : approche originale. C’est le mouvement Réaliste, qui ira progressivement renouveler ses sources par un retour aux valeurs proprement russes, plutôt qu’occidentales.

Ambulants ou Itinérants

Rapidement, pour diffuser leur production et participer à la formation du goût de leurs contemporains, les Indépendants de l’Artel fondent une Société des Expositions Itinérantes, ou Ambulantes, dont la vocation est d’organiser une rétrospective de leur production annuelle, qui tourne dans les principales villes de l’Empire de Russie. Cette organisation se maintiendra jusqu’après la révolution bolchevique, et concernera des millions de visiteurs au total. Tous les artistes russes qui passeront à Veules comptent parmi les membres fondateurs et les premiers adhérents de ce qui deviendra dans l’histoire de la peinture le Mouvement des Ambulants ou des Itinérants.

Lauréats et boursiers de l’Académie

Après six années d’études supérieures à l’Académie Impériale des Beaux Arts de Saint-Pétersbourg, les étudiants présentaient un concours national final. S’ils étaient reçus avec un premier prix et une grande médaille d’or – six lauréats par an – ils gagnaient une bourse d’étude pour cinq années de perfectionnement à l’étranger. Les boursiers n’avaient pas l’obligation d’y suivre des cours structurés, mais de rendre compte de leurs découvertes par écrit et de contribuer par des envois de toiles. Dans la première moitié du XIX° siècle, les élus se rendaient surtout à Rome ; dans la seconde moitié, plus volontiers en France et à Paris, ville lumière et des expositions universelles.

Le choix de Veules en Caux ?

En 1868, A.P. Bogolioubov, par ailleurs officier de marine et peintre de marine, étudie dans l’atelier parisien du mariniste français Eugène Isabey, celui de la Ferme Saint-Siméon au-dessus du Havre et de Sainte-Adresse, et de l’Ecole de Barbizon. Pour les vacances d’été, celui-ci conseille à ses étudiants post gradués russes d’aller travailler sur le motif dans une petite localité que des artistes dramatiques parisiens viennent de découvrir, Veules en Caux, qui ne s’appelle pas encore Veules les Roses. Bogolioubov emmène quatre de ses camarades, et c’est ainsi que commence « la saga des peintres russes à Veules ». Enthousiaste, il reviendra régulièrement à Veules où il conduira des générations d’étudiants, dont un fameux groupe, à l’été 1874. C’est ainsi que près d’une quarantaine de représentations de Veules figurent actuellement dans diverses collections russes ; car vous avez compris que tous nos visiteurs sont des « peintres lauréats », en pleine possession de leur art.

Palmarès du « Passage des Peintres Russes »

Lors de l’inauguration de la plaque dédiée au « Passage des Peintres Russes, Mouvement de Ambulants, 1867-1900« , le 9 juillet 2005 près du Moulin du Gué, leurs noms ont été appelés, comme lors de la remise de leurs premier prix, grande médaille d’or et bourse par l’Académie Impériale des Beaux Arts. Pour le premier séjour de l’été 1868 ont ainsi été nommés : Bogolioubov, Beggrov, Dobrovolski, Lagorio, Klodt… Pour le séjour de l’été 1874 en particulier, outre Bogolioubov : Polénov, Répine, Saviitski…

Alexis Bogolioubov (1824-1896)

Il est le premier à découvrir Veules en 1857, il est enthousiasmé, et la Normandie devient sa région préférée. En 1870 il fonde et devient président de l’association d’entraide et de bienfaisance des jeunes peintres boursiers russes. A partir de 1874 il conduit ses propres protégés à Veules, c’est ainsi qu’une quinzaine de jeunes peintres partirent découvrir la méthode privilégiant le plein air, la nature et les scènes de la vie quotidienne. La carrière de certains d’entre eux sera fortement influencée par ce séjour, il s’agit en particulier de Vassili Polenoff.

Vassili Polenoff (1844 -1927)

Se croyant d’abord peintre d’histoire, Polenoff découvre à Veules sa vraie vocation de peintre de paysages… Il réalise notamment L’entrée d’un parc, à Veules,Normandie, 1874, huile sur toile aujourd’hui au musée Russes à St. Pétersbourg et présentant le portail vers les champs de l’ancien couvent de Veules,cavée de la Croix la Dame. L’impact de « l’école de Veules » sur sa nouvelle manière de peindre se fait particulièrement sentir dans Une petite cour moscovite, 1878, toile à la galerie Trétiakov de Moscou.

lya Efimovitch REPINE (1844- 1930 )

Futur géant de la peinture universelle, qui excelle dans tous les genres, Répine déclare dans sa correspondance avoir reçu à Veules en 1874 « sa troisième leçon de peinture » après l’Ukraine et la Volga : il peint entre autres, fille de pêcheur à Veules, toile qui est aujourd’hui dans les collections du musée des Beaux Arts d’Irkoutsk en Sibérie, ou encore le Cheval pour le ramassage des galets à Veules, qui se trouve au Musée des Beaux Arts Radichtchev à Saratov.

Alexis KHARLAMOV (1842 -1925 )

Portraitiste de formation, également élève de Léon Bonnat à Paris, Kharlamov possédera une résidence secondaire à Veules, la Sauvagère. La commune de Veules détient un original de sa main, exposé salle des mariage Chaumière dans la cavée du Renard, à Veules.

Le 9 Juillet 2005, la commune de Veules les Roses a organisé une rétrospective des travaux de plein air des peintres lauréats boursiers de l’académie Impériale des Beaux Arts de Russie venus à Veules l’été 1874. L’inauguration a donné lieu à un exposé liminaire de Madame Mojenok, docteur en histoire de l’art et auteur d’un livre – thèse, intitulé : les peintres réalistes russes en France (1860-1900), où la place de Veules dans l’itinéraire des ambulants est mise en exergue. Pendant cette journée inaugurale, Madame Mojenok a dédicacé son livre, édité par les Publications de la Sorbonne. Ce même jour, une voie de la commune est nommée : Passage des peintres russes, mouvement des ambulants 1857-1900 la plaque fut dévoilée en présence de Monsieur Andreev ambassadeur de la fédération de Russie en France, de Madame Ogaréva spécialiste de l’œuvre de Bogolioubov et de Monsieur Alexandre Liapine petit fils du peintre Polénoff. Les retombées de cette rétrospective ont été nombreuses…

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